• CYMOTHOA EXIGUA / OBSERVER / ÉCLIPSE / DÉSAFFECTION / PARASITE / (suite...) 


     

     

     

     futur antérieur

     

    Ces jours là les pieds et les orteils étaient indispensables pour assurer les mouvements. Ils autorisaient à se déplacer. C’est par la bouche que les aliments pénétraient dans le corps (il s’agissait d’une cavité qui renfermait la langue et les dents). La langue avait un rôle très important : elle permettait d’apprécier les aliments. De plus elle mélangeait ces derniers à la salive.

    Quant aux dents fixées dans les gencives (muqueuse épaisse qui recouvrait la base des dents), elles servaient à couper, mâcher, écraser, triturer les aliments.

    Ces jours-là, lorsqu’on déglutissait l’épiglotte (qui, en position normale laissait le chemin libre jusqu’à la trachée), celle-ci se rabattait sur la glotte. Elle empêchait l’alimentation d’entrer dans les voies respiratoires. Ces dernières années d’ailleurs, on se mit à respirer car on comprit très tôt la nécessité de se maintenir en vie.

     


     Bégaiement

     

     A quoi ressemblerait la vision d’un regard qui bégaye ? A des structures brisées, des corps morcelés? A un visage dont on a retrouvé les cinq sourcils sur une table plus loin. Cette dernière se voit portée par cinq pieds. On lui reconnaît après coup un 6ème qui l’aurait tranché par la transversale. Un 7ème  un 8ème. En fait ils pullulent, se répandent tout autour puis disparaissent.

    Je regarde ma main, je vois une jambe et je me dis que ce n’est pas surréaliste. En vain je regarde mes deux globes oculaires convulser. Pris dans une série d’aller retour, ils font se plier tout objet dans un rayon de plusieurs kilomètres. Je renonce alors à user de ce moyen pour les prochaines perceptions. Je choisis alors arbitrairement mon pectoral droit pour répondre à cette tache. Je le frotte contre une chaise d‘abord. Puis je l’allonge en contorsionniste sous mes chaussures car je ne sais si le sol existe. Apparemment oui…Il décrit la route que j’empreinte en rampant comme granuleuse. Il reconnaît la face d’un chauffeur dans le bus à sa moustache sur le téton. Enfin je tais tout rapport au monde, me recroqueville dans les fauteuils du bus. En acceptant d’ouvrir les yeux cette fois-ci je vois l’horizon. Il me présente ses signes par grosses grappes. Il est un groupe d’enseignes, des arbres encastrés dans des portes, il est le ciel classé avec le sol et le plan des immeubles. Je suis soulagé, les regroupements me permettent de me réfugier dans l’espace vide, l’intervalle qui les séparent. 

    Ce n’est qu’un peu plus tard dans une chambre d’hôte que j’ordonne les scènes précédentes. Je retrouve un bar simplifié, le café que j’y ai bu, le cliché de sont goût. Cette route tellement route, ce chauffeur, ce bus.

    On ne bégaye pas un désert, un ciel bleu. On bégaye les grains de sables, les nuages…

     


    La largeur des routes

     

    En roulant nous nous donnons l’impression de traverser des lieux. Mais pour connaître un lieu ne faut-il pas en subir le terrain ? Ne faut-il pas quelques épines aux mollets, des branches cassées sous les pieds pour se rendre compte qu’il s’agit bien là d’une campagne.  Nous avons peur de ces campagnes et les plaquons d‘un sol lisse. Nous les rendons inaccessible du même coup. Ces routes ne mènent qu’à d’autres routes et ces lieux ne sont dès lors traversés qu’en largeur. Nous ne sommes que des crabes et longeons une éternelle image que nous nommons paysage.

    Nos villes reconstituent par des enseignes et des dispositifs lumineux la joie qu’elle nous a extirpée. A Noël quand les rues clignotent, nous regardons cette joie se dérouler devant nous et sans nous comme mise sur un rail.

    Nos montagnes gisent balafrées d’accès. Quelques bancs et barrières quelconques ont été disposé autour de nous. On aura saupoudré les lieux de points de vues afin qu’ils regardent le monde à notre place. Ponctuellement, nous serons ces figurants au loin sur la crête qui viendrons arômatiser l’ensemble de mélancolie. Il est mieux pour notre idée de nature qu’on ait oublié qu’à la nuit des temps des manutentionnaires montaient des racines sous chacun des arbres pour qu’ils ne puissent jamais tomber, le jour où ils poseraient le sol sous le ciel. Qu’on ait oublié qu’ils montèrent certains sols jusqu’à la verticale afin qu’on ait des difficultés à les arpenter… A l’origine du monde Castorama fabriquait nos ciels avec du contreplaqué tandis que Michelin gonflait nos nuages avec des sacs de caoutchouc.

    Je suis le touriste qui aime son appareil photo. Je collecte mes petits points de vues et les mets gentiment dans des boites. D’un seul doigt j’emporte avec moi un arbre, un lac, une chaussette et je suis content. J’aime le parking du Sahara, le parking de l’Amazonie…Je voyage mais en fait je suis de visite même dans mon propre pays, dans ma propre rue. Retiré de tout contact avec l’élémentaire, les nécessités m’arrivent sur des plateaux et des toboggans directement reliés à mes lèvres, oreilles, organes génitaux. Je suis le fonctionnaire de mes désirs et administre mes besoins à souhait. Puisque dès lors il m’est facultatif d‘user de mes pieds et mains pour faire, au fond des moignons me suffiraient.  

     


    Fête foraine

     

    Je n’arrive pas à me contenir, il y a trop de signes et sur chacun d’eux une paillette qui en brillant m’empale l’œil. Par protection, je m’enfonce un instant dans le souvenir d’une ballade à la campagne. Ces arbres, ces plaines ne sont pas là pour moi ou si ils le sont, ils n’ont rien à me vendre. Ils ne sont que de pures présences. Les signes du parc d’attraction sont intentionnels. Ils ont étaient fait pour être vu. Un arbre ne s’est pas dit un beau jour “ quelle forme dois-je adopter pour être de tout les arbres de la forêt celui qu’on regarderait le plus”. Il est un arbre malgré lui et c’est tout. Au contraire ici chaque parcelle d’espace doit être un objet de désir. Je me sens pris en otage happé par leurs effets permanents. Je recherche un espace vide mais dans chaque recoin c’est l’événementiel, le sensationnel qui me pointe et m’égorge. Le climax perpétuel de ces rues fait de chacun de mes pas un bouquet final. Mon désir lui sclérose dans une extase dont on aura retenu l’ascension à son plus haut point. Je me recroqueville alors sous l’une de mes paupières en attendant qu’ il pleuve. Je garde l’autre bien ouverte dans l’espoir d’une monotonie.